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Bout à bout, mon histoire....

"Les larmes sont une rivière qui conduit quelque part. Elles entourent de leur flot le bateau qui emporte la vie de notre âme, viennent le soulever et l'entraîner hors des rochers, hors du terrain sec, vers un lieu nouveau, un endroit meilleur." - C. Pinkola Estés.

1. Briser les digues

Les coups.  Je choisis de commencer par ce chapitre car, si dans tout mon travail de guérison, j’ai de plus en plus parlé de mon ressenti et du travail que je faisais sur moi, jamais je n’ai raconté, que ce soit à des tiers ou à moi-même, les faits objectifs de violence.  Ces coups qui faisaient mal, les premières années, mais qui, au fil du temps, finissaient par rebondir sur une carapace de chair insensibilisée car déconnectée de la partie émotionnelle du cerveau. 

 

Apparaît ma première peur : ne pas être crue.

 

Même pour moi qui l’ai vécu, maintenant que je le raconte , il m’est difficile de croire que des coups puissent être reçus sans douleur physique. 

 

Je me souviens … des hématomes sur ma peau, des questions posées à propos d’un visage tuméfié,  de mes mensonges sur leur origine… Je me souviens… de mes menaces :  « N'attends pas de moi un seul geste d'amour tant que ces bleus me feront mal ! »  

 

Je me souviens … de mon pouls qui battait à 120 dès que j’arrivais en vue de la maison après la journée de travail.  Je me souviens de mon incapacité à m’endormir tant que je n’entendais pas Ses ronflements, de mes réveils à l’aube pour tout préparer avant qu’Il ne se lève, …

Je me souviens des effets, des réactions, des conséquences, mais….

 

Je ne me souviens pas des coups.  Ce sont tous ces bleus dont je ne peux me rappeler l’origine, qui mettent des années à guérir, après…. quand ils ont disparu de la peau.

 

Parfois, la nuit, reviennent en cauchemars les coups de pieds, les coups de poing, les images, les odeurs, les cris, le froid du carrelage, la douleur dans les côtes, dans la tête, dans les jambes et les bras.  De mal, je me recroqueville dans mon lit alors qu’au réveil aucune trace ne se marque sur mon corps.

 

Je n’en sortirai pas à me laisser aller ainsi à dire en vrac, sans fil conducteur, sans structure, sans possibilité d’analyse.  Il faut que m’astreigne à raconter en respectant une certaine chronologie afin de pouvoir mieux comprendre, à la relecture, l’escalade de la violence, la dénouer et surtout l’éviter à l’avenir.  Quelle est Ma part ? Quelle est Sa part, ou plutôt, quelle est la part sur laquelle je ne peux pas agir ? Qu’est-ce que je peux changer ?  Qu’est-ce que je dois seulement accepter ? Il faut aussi que je m’oblige au maximum d’objectivité en différenciant clairement la part des faits observables et celle des sentiments éprouvés, les miens, afin d’ouvrir les yeux honnêtement et de manière équitable sur mes besoins cachés et mes disfonctionnements, seuls éléments sur lesquels j’ai du pouvoir et dont je suis responsable.  Le plus difficile sera la balance entre tolérance – envers les autres qu’il faudrait que je m’accorde plus à moi-même  - et exigence – envers moi-même qu’il faudrait que j’applique plus aux autres.

 

Du temps de ma vie conjugale, j’essayais toujours de le comprendre, Lui, pour mieux l’excuser.  Cela fait partie de mon caractère et fait ma force dans mon métier : écouter, comprendre, accepter les différences, me réjouir des moindres progrès.

 

Après chaque dispute, je lui trouvais des circonstances atténuantes : son métier difficile à vivre nerveusement, sa mauvaise relation avec son père, sa relation à la limite de l’inceste avec sa mère, sa jeunesse  - je suis plus âgée de quatre ans – ses frustrations d’amant avec moi, avec sa maîtresse, sa solitude, mes imperfections. Il me demandait pardon. Je l’excusais.  Pendant les quelques jours qui suivaient, je me réjouissais de ses progrès dans la famille : il m’avait préparé une tasse de thé, il se mettait à faire la vaisselle, il s’était occupé d’un devoir, il avait fait une promenade avec un des enfants,…

 

J’étais intransigeante sur mes imperfections : je n’étais pas la meilleure épouse, la meilleure  mère, la meilleure ménagère qui soit.

 

Il me disait peu disponible pour lui,  j’acceptais. J’aurais dû voir tout le temps consacré aux responsabilités familiales qu’il ne voulait pas partager.  Les enfants : « Tu les as voulus… assume ! » Le travail à temps plein, les taxis : «Tu les as voulus… assume !  ». Les lessives, les vaisselles, les courses, les travaux de transformation de la maison : « Tu les as voulus… assume ! ».  Il me disait dénigrante, je ne comprenais pas, j’acceptais et je me taisais. J’aurais dû voir Son mal être qui lui faisait entendre « Tu es un incapable » quand je lui disais « Je me suis bien amusée aujourd’hui dans telle activité ! », qui lui faisait entendre « Tu ne fais rien ! » quand je lui disais « Je suis fatiguée »…

 

Je ne me rendais pas compte du cercle infernal dans lequel nous nous enfermions.  De jour en jour, je pardonnais de plus en plus de violence chez lui et m’accusais de plus en plus de ce que j’avais omis de faire pour être parfaite.  C’était normal qu’il me corrige, je ne pouvais qu’accepter ces coups que je pensais mériter.  C’est ainsi que se faufila insidieusement le sentiment de honte qui me portait à tenir dans la vie extérieure le rôle de la jeune épouse épanouie, qui me faisait porter des pantalons et des chemises à manches longues été comme hiver pour dérober aux regards les traces de violence, qui me faisait mentir sur l’origine des bleus quand « on » les remarquait malgré toutes ces précautions.

 

Je me sens errer sans entrer dans le sujet.  Je reconnais en moi cette envie de fuir, de me lover en fœtus dans mon lit, dans le noir.  Pourquoi cette peur de raconter ?

 

Peur de l’incompréhension, de l’incrédulité ?

 

Je peux imaginer ces sentiments.   Je les ai moi-même ressentis, quand j’avais vingt ans, à la lecture de récits, d’interviews ou en écoutant tout simplement des femmes battues raconter leur expérience.  Je me disais : « Comment peuvent-elles accepter ? » « Pourquoi restent-elles ? » « Moi, je me vengerais à leur place ! »

 

Fallait-il que je vive la même expérience pour entendre toutes les raisons que l’on peut invoquer, ces raisons que j’ai faites miennes ? Je me disais « Pour les enfants », « Parce que je me suis engagée pour le meilleur mais aussi pour le pire », « Parce qu’il serait malheureux sans moi », « Parce que je suis la plus forte », « Parce que je veux le sauver », « Parce que c’est ici ma maison », Parce que c’est à lui de partir », « Parce que je ne m’en sortirai pas financièrement toute seule », « Parce que j’ai peur de Ses réactions, de Sa violence,  si je m’en vais », « Parce que je ne veux pas Le détruire ». « Parce qu’à la  télévision, dans la rue, des tas de gens sont tellement plus malheureux que moi ». Autant de bonnes mais en même temps mauvaises raisons …

 

Toutes ces excuses cachaient, je le crois maintenant, mon besoin de famille, mon manque de confiance en moi et mes peurs du jugement de la société. 

 

Si ce sont ces peurs de l’incompréhension, de l’indifférence ou pire, du mépris qui me freinent dans mon travail d’expression, alors « Vas-y, lance-toi ».

 

Ceux-là qui me jugeraient ridicule, qu’ils soient même très sévères, je n’en mourrai pas.  Protégée par l’intermédiaire du papier, et aussi de l’anonymat, si je le veux, leurs critiques ne me toucheront pas.  Et même si quelqu’un de proche, me reconnaissant, me fait parvenir son point de vue, son discours m’aidera à avoir un regard extérieur sur mon histoire, regard qui ne pourra que me faire grandir par la confrontation sans violence physique. 

 

Et si cela n’est pas, je me sens maintenant capable de dire ma non-envie de les écouter et affirmer mon droit de choisir de ne pas les entendre même si je sens, au fond de moi, poindre ces peurs d’être jugée..  Peut-être même que de leur incrédulité naîtra une compassion, qui, par son énergie positive me soutiendra, me donnera la force de continuer mon combat pour le respect, l’amour et la liberté.

 

Peur de dévoiler mes faiblesses ?

 

Sans doute.  Orgueil. Je serai assez aimante pour Le guérir, assez disponible pour tout assumer, assez forte pour rester libre de mes pensées.  Je serai, je dois être, la meilleure épouse, la meilleure amante, la meilleure mère, la plus généreuse, la plus altruiste, la plus invisible.  Etre au service, faire plaisir, être heureuse du bonheur des autres, donner, cette dénégation de moi-même était-elle présente en moi dès ma naissance ou fruit de mon éducation ? Orgueil ou profond mal-être ? Besoins de reconnaissance, besoins d’amour ? Réaction aux disputes vécues par mes parents ? Conformité à mon éducation dans le dogme de la religion ? Idéalisme ? Générosité ou manipulation ?

 

Sûrement oui, j’étais  envahie de tout ce monde complexe de sentiments contradictoires et le suis encore aujourd’hui.  Je m’efface, je me cache, je me fais invisible, je me fais anonyme. J’ai donné mon amour, ma disponibilité, mon écoute mais j’attendais en retour d’être écoutée, aimée.  AIMEE. « Regardez, je fais tout ce que je peux pour vous rendre heureux, aimez-moi !! »

 

Peur de m’imposer, peur d’être jugée, peur de sortir des sentiers tracés par mon éducation, peur de blesser mes enfants, ceux qui m’aiment, peur de ne pas arriver au bout, peur de retomber dans le creux de la vague, peur de revivre la douleur, peur des émotions…

 

Je sens ma poitrine se serrer, mon souffle s’oppresser…

 

Peur des émotions ?

 

Une torpeur infinie grimpe le long de ma colonne vertébrale, s’infiltre dans mon crâne rend ma tête si lourde qu’elle vacille sur ma nuque.  Tournant, elle hésite sur mon épaule, se laisse pendre en arrière emportant mon corps flasque. Je tombe. Je sens que je tombe mais je ne peux rien faire pour m’en empêcher. Hors contrôle. Je m’évanouis sans douleur dans la sombritude d’un trou sans fin…

 

Des rais de couleurs vives s’infiltrent sous mes paupières. Mon cerveau se détache de ma mâchoire. Je comprends pourquoi les cadavres sont retrouvés la bouche grande ouverte.  Une musique douce de flûte de pan arrive à mes oreilles.  Je sens sous mes mains le bois du sol sur lequel mon corps étendu sans réaction commence à émerger de sa relaxation sauvage.

 

Il y a huit ans, dans le cadre d’une psychothérapie, le seul fait de dire « je » pour parler de moi me faisait trembler, serrer les mains aux creux des genoux, fixer le regard sur un élément du bureau pour ne pas remarquer toutes les étoiles noires qui envahissaient ma vue.  Aujourd’hui, je parle de moi, j’exprime mes ressentis, j’arrive même à demander… Mon mental a pris de la force et gère sans trop de casse l’histoire de mon passé mais je sens qu’il a encore ses faiblesses qui lui font construire des murs entre lui et mes émotions pour se protéger. Me voici coupée en deux…

 

Mes peurs, je vous ai entendues. Je vous respecte. Je voudrais vous apprivoiser pour que nous arrivions à vivre ensemble, que vous puissiez m’ouvrir les yeux sur les véritables dangers mais sans m’enfermer dans une prison de silence et d’immobilité.

 

Mes émotions, je vous reconnais mais il me faut encore un peu de temps ; je voudrais vous laisser vous échapper, une par une, par les fissures de la digue qui vous enferme dans mes tripes.  Je ne suis pas encore prête à laisser entrer la marée…

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